07 August 2016

The Book Sill - L'Exil et le Royaume

A l'instigation de mon cher frère, je viens de relire L'Exil et le Royaume, petit recueil de nouvelles de celui qui, en littérature, fut mon premier amour. Il y aurait beaucoup à en dire - et je soupçonne que beaucoup, déjà, en a été dit. Je voudrais en retenir et partager ces quelques notes.

La Femme adultère ouvre le recueil, et j'ai trouvé ce texte dans l'état précis où mon frère me l'avait décrit: le lent, exténuant voyage vers le désert, où une petite mouche aux ailes frissonnantes prisonnière à l'intérieur du vieil autocar nous dévoile, en deux lignes, la situation dans laquelle le début de l'histoire surprend Janine ; la distance d'émotions qui la sépare d'un mari médiocre et méprisable ; sa découverte du désert immense par-delà les pauvres remparts du petit village ; et la scène de nuit où sous le ciel glacé elle jouit de la solitude avec la violence d'un orgasme.

La Pierre qui pousse ferme le recueil avec une belle symétrie. Tout comme le texte liminaire, celui-ci débute par un voyage, une avancée dans l'inconnu. Pourtant on ne pourrait imaginer inconnu plus différent du village algérien. Ici le protagoniste, un ingénieur gras et vieillissant, s'enfonce de nuit, en voiture, dans la forêt amazonienne. On y étouffe. Les cieux n'y sont plus craquants et plein de petits feux glacés à la dérive, mais liquides et brouillés d'étoiles embuées. Ce n'est plus le récit mystique d'une femme abandonnant tout pour trouver dans le vide son extase, mais l'histoire prométhéenne d'un Européen piétinant les superstitions religieuses pour leur préférer l'humain. La scène finale où D'Arrast jette au sol, sur le foyer encore tiède, le lourd fardeau de celui qu'il s'est mis en tête de sauver, ne peut que convoquer au camusophile que je suis les dernières pages du Mythe de Sisyphe.

Les talents de Camus pour le mythe et la parabole, je les connaissais bien. Ce que je connaissais moins ce sont ses talents de conteur et, j'oserais même dire, de scénariste. Les pages d'ouverture de ces deux nouvelles mâcheraient le travail d'un réalisateur. Tout s'y trouve : lieux, lumière, cadrage, mouvement de caméra, changement de prise. Même les indications de fond sonores sont là. Ces textes ont-ils jamais été adaptés à l'écran? Il faudrait que je me renseigne.

Par dessus tout j'ai découvert un Camus voyageur. L'Exil et le Royaume est un incomparable compagnon de voyage. Les évocations du désert - le plus souvent froid, étrangement - sont tout simplement magnifiques. Les plus belles pages sont celles qui mettent un être seul face à son environnement immédiat. De ceci, Jonas est révélateur. Cette petite histoire par ailleurs assez convenue - Albert Camus s'y essaie à la satire légère, mais son talent dans cet art est loin de celui de Marcel Aymé - ne s'envole vraiment que dans les dernières lignes, lorsque Jonas s'enferme dans sa soupente et ne vit plus que par lui-même.

Il faut attendre la quatrième nouvelle du recueil, placée à son coeur, pour finalement trouver les trois Camus réunis, en un de ses textes les plus achevés. L'Hôte est à la fois une histoire façonnée par le désert (les pages qui l'évoquent sont d'une grande pureté), un conte remarquable fonctionnant sur un mécanisme dramatique aussi merveilleusement simple qu'efficace, et une fable emplie de tout l'humanisme qui assure à Albert Camus, trente ans après ma première lecture de L'Etranger, une place toute particulière dans mon petit panthéon privé.

L'Hôte. Au désert d'Afrique. A l'homme seul.