27 September 2012

London leaves and I stay

Sur Bow Churchyard un rayon de soleil passe
Il frappe les carrés rouges de l'église de briques
Sous son porche imposant, plain-cintre de pierre blanche
Une grosse lanterne pend
Elle est en verre épais et en fer forgé blanc
Dans un style qui rappelle celui d'une acienda
Comme le faisait l'Art Nouveau
En 1910, dans les vieilles rues de Lisbonne
Tandis qu'à Paris une poésie fleurissait
Eblouissante
C'est dans ces années que furent écrit tous les textes que j'aime
Les Pâcques à New York et puis la Jeanne de France
Et Zone, tout Alcool
Et Pierre Reverdy depuis Narbonne
Arrivait dans le nord
Dans les journaux on lisait Cornélius, la magnifique Guerre du Feu
Le fantôme bleu Fantômas
Sur Bow Churchyard autour de la dentelle d'une lampe
En fer forgé blanc dansent tous mes fantômes
Chansons, écrivains, mondes qui se bousculent
Sur quelques mètres dallés entre un fleuriste et moi
Sous son toit de toile verte que tiennent des poteaux minces
Le fleuriste, seul, travaille sans relâche
Il assemble en six mouvements un bouquet de roses blanches
De roses roses et de quatre fougères
Il en assure les tiges d'un petit cordon vert
Et encône le tout d'un plastique transparent
Puis il prend une feuille de papier crépon pourpre
Y enroule son bouquet
Avant de le poser dans un haut vase en fer blanc
Il y pique un gros lys crème
Le vent s'engouffre sous sa tente faisant claquer le toit comme une voile
Car Londres n'est pas bien loin de la mer
Le vent couche de beaux iris, la longue crête des glaïeuls
Arrache aux boules de neige quelques flocons de pétales
Il neige en septembre sur Bow Church la Rouge
Aujourd'hui mon père a soixante-neuf ans
Tout le ciel de Londres vogue, bleu et blanc
Ouvert comme un sourire quelque part vers le sud
Le vent frais (brisk) est plein de l'odeur d'un seul lys
Même l'ombre du platane aux formes noueuses
S'étire vers le sud
Septembre en attendant que les beaux jours reviennent
Tout Londres veut émigrer
Et mon coeur toujours plein de l'appel des voyages
Cette fois me dit: reste
Londres est un port: reste
C'est un navire: reste
Sur son pont si tu restes tu t'en iras toujours
Car Londres tout ouvert s'emplit du vent du monde
Et j'entends toutes les langues
Dans les cafés les serveurs ont épinglé sur leur poitrine
De petits drapeaux d'acier peint
Espagne, Brésil, Grèce, Paris, Auckland, Roumains
Ces Roumains qu'on chasse en France
Qu'on appelle Gitans
Tziganes, Romanichelles
Qu'on insulte, qu'on accuse, dont on dit qu'ils sont sales
Et voleurs, et menteurs, et puis quoi d'autre encore
Qu'ils ne se rasent jamais ou qu'ils ouvrent des gorges
La nuit
Qu'on juge, qu'on condamne et qu'on renvoie chez eux
Ces Roumains qu'on Interdit comme on a Interdit
           Les Juifs
           Les Indiens d'Amérique
           Les Noirs de Partout
Ces Roumains à Londres viennent et je pleure
La honte de mon pays
Debout sur Bow Churchyard dans l'odeur d'un seul lys
Où le vent tourbillonne
Où sur la crête des glaïeuls un toit de toile se gonfle
Où les nuages filent tout joyeux vers le sud
Où la ville comme un navire titube sous l'automne
Je pleure mon petit port apeuré
Mon mouillage que le monde emmerde
Ma ville que tous les vents évitent
Aujourd'hui comme sonne le chant du voyage
Je reste
Ici
Et j'attends passer la Terre.