25 November 2012

The Book Sill - Mémoires d'Hadrien

I bought it four years ago. I started reading it more than six months ago, after it had mysteriously made its journey from a shelf back row onto my bedside table. Then, as I reached page 107, it disappeared.

Two months ago, I met a friend of mine in a pub, for a session of what he likes to call "Viby Thursdays" - a guarantee that you will have to call in sick the day after. As I was handling him a cosmopolitan (we were out with our respective halves), he threw a book across the table to me.

"There you go. That's not English. I don't know who else would have dared pollute my car back seat with such pagan object".

Mémoires d'Hadrien landed in a pool of English ale, on the table of a bar near Angel station, North London.

I have no words for this book - not yet. I have not finished reading it. I cannot start expressing the awe that rise in me as I slowly step through. The only way for me to make it justice is to gather here a patchwork of extracts. The list will no doubt lengthen, as I read and re-read it.

All references are to the Folio 1974 edition.

"Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais ; c'est contribuer aussi à ce lent changement qui est la vie des villes" (p140)

"Mais notre art (j'entends celui des Grecs) a choisi de s'en tenir à l'homme. Nous seuls avons su montrer dans un corps immobile la force et l'agilité latentes ; nous seuls avons fait d'un front lisse l'équivalent d'une pensée sage. Je suis comme nos sculpteurs : l"humain me satisfait ; j'y trouve tout, jusqu'à l'éternel. La forêt tant aimée se ramasse pour moi tout entière dans l'image du centaure ; la tempête ne respire jamais mieux que dans l'écharpe ballonnée d'une déesse marine [...]" (p146)


"[...] les beaux vers où le vieux Terpandre a défini en trois mots l'idéal spartiate : La Force, la Justice, les Muses." (p149)


"Une barque à fond presque plat me transporta dans l'île de Bretagne [...] j'apercevais ici pour la première fois un Neptune plus chaotique que le nôtre, un monde liquide infini. J'avais lu dans Plutarque une légende de navigateurs concernant une île située dans ces parages qui avoisinent la Mer Ténébreuse, et où les Olympiens victorieux auraient depuis des siècles refoulé les Titans vaincus. Ces grands captifs du roc et de la vague, flagellés à jamais par un océan sans sommeil, incapables de dormir, mais sans cesse occupés à rêver, continueraient à opposer à l'ordre olympien leur violence, leur angoisse, leur désir perpétuellement crucifié. Je retrouvais dans ce mythe placé aux confins du monde les théories des philosophes que j'avais faites miennes : chaque homme a éternellement à choisir, au cours de sa vie brève, entre l'espoir infatigable et la sage absence d'espérance, entre les délices du chaos et celles de la stabilité, entre le Titan et l'Olympien. A choisir entre eux, ou à réussir à les accorder un jour l'un à l'autre." (p151)


"Chaque glissement nous ramenait à ce point qui, parce que par hasard nous nous y sommes trouvés, nous paraît un centre."
P163


"Depuis les nuits de mon enfance, où le bras levé de Marullinus m'indiquait les constellations, la curiosité des choses du ciel ne m'a pas quitté. Durant les veilles forcées des camps, j'ai contemplé la lune courant à travers les nuages des cieux barbares ; plus tard, par de claires nuits attiques, j'ai écouté l'astronome Théron de Rhodes m'expliquer son système du monde ; étendu sur le pont d'un navire, en pleine mer Egée, j'ai regardé la lente oscillation du mat se déplacer parmi les étoiles, aller de l'œil rouge du Taureau au pleur des Pléiades, de Pégase au Cygne : j'ai répondu de mon mieux aux questions naïves et graves du jeune homme qui contemplait avec moi ce même ciel. Ici, à la Villa, j'ai fait construire un observatoire, dont la maladie m'empêche aujourd'hui de gravir les marches. Une fois dans ma vie, j'ai fait plus : j'ai offert aux constellations le sacrifice d'une nuit tout entière. Ce fut après ma visite à Osroès, durant la traversée du désert syrien. Couché sur le dos, les yeux bien ouverts, abandonnant pour quelques heures tout souci humain, je me suis livré du soir à l'aube à ce monde de flamme et de cristal. Ce fut le plus beau de mes voyages. Le grand astre de la constellation de la Lyre, étoile polaire des hommes qui vivront quand depuis quelques dizaines de milliers d'années nous ne serons plus, resplendissait sur ma tête. Les Gémeaux luisaient faiblement dans les dernières lueurs du couchant ; le Serpent précédait le Sagittaire ; l'Aigle montait vers le zénith, toutes ailes ouvertes, et à ses pieds cette constellation non désignée encore par les astronomes, et à laquelle j'ai donné depuis le plus cher des noms. La nuit, jamais tout à fait aussi complète que le croient ceux qui vivent et qui dorment dans les chambres, se fit plus obscure, puis plus claire. Les feux, qu'on avait laissé brûler pour effrayer les chacals, s'éteignirent ; ce tas de charbons ardents me rappela mon grand-père debout dans sa vigne, et ses prophéties devenues désormais présent, et bientôt passé. J'ai essayé de m'unir au divin sous bien des formes; j'ai connu plus d'une extase; il en est d'atroces; et d'autres d'une bouleversante douceur. Celle de la nuit syrienne fut étrangement lucide. Elle inscrivit en moi les mouvements célestes avec une précision à laquelle aucune observation partielle ne m'aurait jamais permis d'atteindre. Je sais exactement, à l'heure où je t'écris, quelles étoiles passent ici, à Tibur, au-dessus de ce plafond orné de stucs et de peintures précieuses, et ailleurs, là-bas, sur une tombe. Quelques années plus tard, la mort allait devenir l'objet de ma contemplation constante, la pensée à laquelle je donnais toutes celles des forces de mon esprit que n'absorbait pas l'Etat. Et qui dit mort dit aussi le monde mystérieux auquel il se peut qu'on accède par elle. Après tant de réflexions et d'expériences parfois condamnables, j'ignore encore ce qui se passe derrière cette tenture noire. Mais la nuit syrienne représente ma part consciente d'immortalité." (pp162 to 164)


"Saisons alcyonniennes; soltices de mes jours... Loin de surfaire mon bonheur à distance, je dois lutter pour n'en pas affadir l'image ; son souvenir même est maintenant trop fort pour moi. Plus sincère que la plupart des hommes, j'avoue sans ambages les causes secrètes de cette félicité : ce calme si propice aux travaux et aux disciplines de l'esprit me semble l'un des plus beaux effets de l'amour. Et je m'étonne que ces joies si précaires, si rarement parfaites au cours d'une vie humaine, sous quelque aspect d'ailleurs que  nous les ayons recherchées ou reçues, soient considérées avec tant de méfiance par de prétendus sages, qu'ils en redoutent l'accoutumance et l'excès au lieu d'en redouter le manque et la perte, qu'ils passent à tyranniser leurs sens un temps mieux employé à régler ou à embellir leur âme. A cette époque je mettais à affermir mon bonheur, à le goûter, à le juger aussi, cette attention constante que j'avais toujours donnée aux moindres détails de mes actes ; et qu'est la volupté elle-même, sinon un moment d'attention passionnée du corps ? Tout bonheur est un chef-d'oeuvre : la moindre erreur le fausse, la moindre hésitation l'altère, la moindre lourdeur le dépare, la moindre sottise l'abêtit. Le mien n'est responsable en rien de celles de mes imprudences qui plus tard l'ont brisé : tant que j'ai agi dans son sens, j'ai été sage. Je crois encore qu'il eût été possible à un homme plus sage que moi d'être heureux jusqu'à sa mort." (pp179 and 180)

"La nuit qui suivit ces célébrations, du haut d'une terrasse, je regardai brûler Rome. Ces feux de joie valaient bien les incendies allumés par Néron : ils étaient presque aussi terribles. Rome : le creuset, mais aussi la fournaise, et le métal qui bout, le marteau, mais aussi l'enclume, la preuve visible des changements et des recommencements de l'histoire, l'un des lieux au monde où l'homme aura le plus tumultueusement vécu. La conflagration de Troie, d'où un fugitif s'était échappé, emportant avec lui son vieux père, son jeune fils, et ses Lares, aboutissait ce soir-là à ces grandes flammes de fête. Je songeais aussi, avec une sorte de terreur sacrée, aux embrasements de l'avenir. Ces millions de vies passées, présentes et futures, ces édifices récents nés d'édifices anciens et suivis eux-mêmes d'édifices à naître, me semblaient se succéder dans le temps comme des vagues ; par hasard, c'était à mes pieds cette nuit-là que ces grandes houles venaient se briser. Je passe sur ces moments de délire où la pourpre impériale, l'étoffe sainte, et que si rarement j'acceptais de porter, fut jetée sur les épaules de la créature qui devenait pour moi mon Génie : il me convenait, certes, d'opposer ce rouge profond à l'or pâle d'une nuque, mais surtout d'obliger mon Bonheur, ma Fortune, ces entités incertaines et vagues, à s'incarner dans cette forme si terrestre, à acquérir la chaleur et le poids rassurant de la chair. Les murs solides de ce Palatin, que j'habitais si peu, mais que je venais de reconstruire, oscillaient comme les flancs d'une barque ; les tentures écartées pour laisser entrer la nuit romaine étaient celles d'un pavillon de poupe ; les cris de la foule étaient le bruit du vent dans les cordages. L'énorme écueil aperçu au loin dans l'ombre, les assises gigantesques de mon tombeau qu'on commençait à ce moment d'élever sur les bords du Tibre, ne m'inspiraient ni terreur, ni regret, ni vaine meditation sur la brièveté de la vie." (pp186-187)

"La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, oú gisent sans honneur des morts qu'ils ont cessé de chérir."
P228

"Les siècles encore contenus dans le sein opaque du temps passeraient par milliers sur cette tombe sans lui rendre l'existence, mais aussi sans ajouter à sa mort, sans empêcher qu'il eût été."
P229

"Je passai tout un soir à discuter avec lui de l'injonction qui consiste à aimer autrui comme soi-même; elle est trop contraire à la nature humaine pour être sincèrement obéir par le vulgaire, qui n'aimera jamais que soi, et ne convient nullement au sage, qui ne s'aime pas particulièrement soi-même."
P240

"Les pédants s'irritent toujours qu'on sache aussi bien qu'eux leur étroit métier;"
P241

"L'heure de l'impatience est passée ; au point où j'en suis, le désespoir serait d'aussi mauvais goût que l'espérance. J'ai renoncé à brusquer ma mort."
P303

"Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires d'Hadrien à la première personne, c'est pour me passer le pus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi."
P330, notes

"[...] le graphique d'une vie humaine [...] ne se compose pas, quoi qu'on dise, d'une horizontale et de deux perpendiculaires, mais bien plutôt de trois lignes sinueuses, étirées à l'infini, sans cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu'un homme a cru être, ce qu'il a voulu être, et ce qu'il fut."
P332, notes